Nous concluons donc notre butinage par un séjour d’une grosse semaine dans la cité des Doges.
Derrière une des cités les plus visitées du monde, se cache une autre Venise à l’abri du regard des milliers de touristes qui inondent quotidiennement la ville plus sûrement que « l’acqua alta ». Cette Venise hors sentiers n’est pas une Venise secrète et se livre facilement. En voici la méthode d’approche.
Suivre la file visiteuse, prendre brusquement sur la droite quand le flot part tout droit, longer une « fondamenta » le long d’un petit canal, suivre la ruelle déserte et étroite sur votre gauche, cernée par les hauts murs sévères de l’arrière des palazzi, enfin franchir le petit pont : ca y est, vous y êtes. Pas de panique, vous êtes perdus mais ce n’est pas grave. Vous tournerez en rond quelque temps et puis, en tâtonnant, vous retrouverez votre chemin. Prenez le temps de déguster ce qui s’offre alors à vos yeux, à vos oreilles, voire à votre nez.
Les mots nous aident peu pour décrire couleurs, reflets, mouvements, sons, effluves et autres beautés architecturales des lieux. Des lieux mais aussi des hommes : des vénitiens qui continuent à vivre comme vous et moi, téléphonent, échangent, font leurs courses, bossent, transportent, chargent ou déchargent de grands chariots inox, vont chercher leurs enfants à l’école ou sirotent un « macchiato » en lisant La Republicca. Vision surréaliste d’une population affairée qui se déplace le plus normalement du monde dans un cadre (un décor?) d’une beauté saisissante qui vous laisse pantois.
Le périmètre « incontournable-à-voir-absolument », quasi insupportable, est assez réduit (palais des Doges, Campanile, basilique Saint Marc, les rues chics derrière la place du même nom et au bout du grand canal, le pont du Rialto) Le site se parcourt à allure lente pour cause d’embouteillages causés par de nombreux poids lourds, comme sur l’autoroute. Nous parlons ici des troupeaux multinationaux qui suivent en rangs serrés d’une trentaine de têtes, les parapluies, fanions ou autres totems de leurs « guides-gardes chiourme *».
Le choc est réel entre ces lieux pris d’assaut, piétinés par les foules et ces quartiers « next door » où vous ne croiserez que quelques étrangers qui, comme nous, sont en mal de sensations et de dépaysement. Visiter les « grands lieux » de Venise est à faire bien évidemment mais rapidement et le plus tôt possible le matin, surtout si vous souhaitez effectuer des visites dans ces magnifiques et prestigieux monuments.
Dans ces rues quasi bloquées par les groupes de touristes, j’ai été témoin d’un incident éclairant : une dame de belle allure, marchant d’un pas alerte fend avec détermination un des troupeaux en question (retard à son travail, gosses à aller chercher, bref, pas de temps à perdre!). Ne pouvant se frayer un passage, elle bouscule l’un et l’autre avant de parvenir à hauteur de la « guide ». Le dialogue en Italien, a été aussi court que discourtois, si j’en crois mon approximative traduction : « gardez vos touristes sur la gauche, vous gênez le passage …..mais madame, ils sont à gauche, mes touristes ! », échange suivi par des grommellements qui en disent long sur l’impatience de nombreux locaux. Mais comment font-ils pour supporter l’invasion quotidienne et permanente, la mondialisation du tourisme entraînant inévitablement l’éparpillement des dates de visite ?
Quittons Venise pour rentrer à la maison, d’où s’écrivent ces quelques dernières lignes. Un grand merci à Laure et Chantal, nos dernières passagères à bord, grâce auxquelles nous avons pu rejoindre aisément notre nid terrestre. Elles ont vaillamment participé au rush final (ranger et préparer un bateau pour l’hiverner n’est pas chose aisée). Nous avons pu profiter d’un peu de beau temps pour nous émerveiller ensemble du spectacle, beau temps suivi hélas d’une pluie rageuse et drue pendant les trois dernières journées passées sur Pixel : froid, humide et glissant ! Heureusement qu’une consommation quotidienne de « gelati » nous a permis de tenir le coup.
Quel bilan doit-on tirer de ce long périple entamé le lundi 20 avril par la mise à l’eau de Pixel et conclu le jeudi 15 octobre avec la mise à terre du même Pixel (à terre, pas en terre!) ? Sur le plan technique, notre vaillante embarcation a tenu toutes ses promesses. Cela, nous le savions déjà, ayant parcouru des milliers de milles avec ce même bateau et dans des conditions pas toujours faciles. Le Feeling 10,40 est un bateau solide, très marin et rapide. Au fil des années passées ensemble, nous l’avons équipé le mieux possible afin qu’il réponde à nos besoins. Les panneaux solaires et notre nouveau groupe froid, achetés peu avant le départ, nous ont donné entière satisfaction. Merci donc aux professionnels qui les ont (bien) installés (Rs Inox, Global Nautic et AD Martigues). Merci également à Marc et Rosenn de PSL Gréément : nos voiles Delta nous tirent bien, notre lazybag est un plaisir et nous apprécions d’avoir été entendus quand cela s’est avéré nécessaire.
Il reste quelques points à améliorer si la caisse du bord le permet, notamment des toilettes marines vraiment marines et simples d’utilisation. Ce n’est pas nos stagiaires qui nous contrediront sur ce point ! Un sondeur en panne devra également être remplacé ainsi que quelques pièces d’accastillage. Un bateau qui navigue six mois fatigue assez vite un matériel acheté souvent très cher et finalement assez décevant en terme de fiabilité… cherchez l’erreur !
Petite remarque gourmande : en Croatie, nous avons vu naviguer la quasi-totalité des gammes que proposent les grands chantiers du moment. Bénéteau, Jeanneau, Dufour, Bavaria, Hanse ou encore Elan : les loueurs ne lésinent pas sur la taille des modèles, rarement en-dessous de 38 pieds (11,40m), très souvent autour de 42 ou 44 pieds (13 mètres et plus). Ces bateaux sont le plus souvent équipés de grand-voiles importantes au détriment d’un triangle avant en réduction. Le foc auto-vireur et la GV sur enrouleur permettent de proposer à la location, des unités faciles à manœuvrer avec moins de risques pour des équipages que nous avons souvent perçus comme peu habiles. Oui, mais … ces choix conduisent à réduire significativement les performances de ces voiliers. Ainsi, notre « petite » unité, souvent la moins longue du ponton de la marina, s’est permis de jouer le David face aux Goliath en dépassant assez systématiquement ces beaux voiliers flambant neufs, quelque soit l’allure et la force du vent. Il faut dire, pour conclure sur le sujet, que la navigation à voile en été dans les îles croates est assez désespérante : 90 % de la flotte (et je pèse mes mots) navigue au moteur, voiles soigneusement enroulées. Mais après tout, vu le niveau de certains équipages, ce n’est peut-être pas plus mal !
Sur tous les autres plans et après avoir dit que nous avons passé, Martine et moi, six mois extrêmement enrichissants, uniques et qui nous marqueront sans doute pour la suite, nous ne ferons pas de bilan particulier. Les actualités postées vous ont, au fil des semaines, livré un peu de nos états d’âme, de nos surprises, de nos enchantements et de nos découvertes. Le parcours est loin d’être terminé (en principe!) et reprendra dès avril 2016. Nous préférons regarder l’étrave plutôt que notre sillage ! C’est d’ailleurs beaucoup moins dangereux en navigation …
Serez-vous encore avec nous l’an prochain ? Vous êtes tous cordialement invités à suivre nos prochaines tribulations. Quant aux récidivistes potentiels qui auraient l’inconscience de venir nous rejoindre pour passer le deuxième degré du stage et à ceux qui ont déjà navigué sur Pixel les années précédentes (suivez mon regard, plusieurs anciens équipiers se reconnaîtront !) : à vos agendas et préparez-vous à l’aventure !
L’ÉQUIPAGE DE PIXEL VOUS DIT A BIENTÔT (et vous offre un dernier coucher de soleil sur la lagune) !!!
Alors, la suite, ça vient ?
J’ai la quille qui commence à me démanger !
Allez, bonne mer et bon vent.
Alors çà y est, c’est reparti ! En tous les cas bon vent.