Il y a des hasards heureux parfois. Devant le détroit de Messine, le vent qui monte du sud alors que le courant nous y pousse également nous fait renoncer à passer cet endroit « tordu » : si le vent est contre le courant, alors nous pouvons nous attendre à une mer difficile voire dangereuse. Décision est donc prise de nous diriger vers le petit port de pêche de Scilla sur la côte Calabraise, une poignée de milles avant le fameux détroit. Pour l’anecdote, Scilla n’est autre que le Scylla d’Homère. Charybde étant l’autre curiosité du coin mais devant Messine (dans les deux cas, vagues scélérates, tourbillons monstrueux, dixit Homère), nous ne pourrons pas dire que nous sommes passés de Charybde en Scylla ! Petit port de pêche donc, aux jolies maisons accrochées au rivage, façon berniques. Les maisons du quartier des pêcheurs (Chianalea) sont remarquables : Côté rue, une bâtisse en pierre abrite le logement. Côté mer, un plan incliné descend directement de la petite rue jusqu’à l’eau. Un palan, des cordages, une barque et le tour est joué : le pêcheur ne sort pas de chez lui, il emprunte la petite porte du fond et part directement en mer. Nous avions vu une organisation un peu identique du côté de la Cornouailles anglaise, dans la baie de Falmouth, il y a fort longtemps. Le décor est parfait : le film peut maintenant se tourner.
Car cinéma, il y a bien eu : nous sommes dans un des deux ou trois ports de pêche à l’espadon qui se trouvent sur ces côtes poissonneuses. Le détroit resserre le passage des thons et des espadons comme le ferait une nasse ; obligés de passer par là pour rejoindre ou quitter la mer ionienne, ces beaux animaux s’exposent à de dangereux prédateurs ! Ne soyons pas hypocrites, le steak d’espadon, c’est rudement bon ! Nos trois jours passés à attendre de bonnes conditions de passage dans le détroit nous ont permis de voir partir et revenir les trois barques de pêche de Scilla. Attention, il ne s’agit pas ici des petites embarcations amarrées « au cul des maisons » mais de fiers bateaux d’une dizaine de mètres dont la particularité, sans doute unique au monde, est d’être gréés spectaculairement de deux appendices …. déraisonnables ! Un mat métallique (structure identique à celle d’une grue de chantier et même hauteur!) de plus de trente mètres de haut au bout duquel se perchent un veilleur et un barreur. Ils voient ainsi les poissons de loin et peuvent lancer le bateau sur eux. Pour harponner sa proie, un pêcheur (chasseur ?) se met à l’avant du bateau, en équilibre très instable sur la même structure métallique que le mât, horizontale cette fois, toujours une trentaine de mètres (véridique!). Magique ! Et avec ça, ils espèrent sans doute ramener un poisson qui peut atteindre les 90 km/h, peser 500 kilos et mesurer de un à cinq mètres ?
Réponse en image, ci-dessus. Nous avons été parmi les témoins heureux et privilégiés du retour au port des embarcations et de leur déchargement sur des petites barques qui repartaient aussitôt pour débarquer la « marchandise ». Ébahis, nous l’avons été par la taille de ces bestioles mais aussi par la tranquille force qui se dégageait des équipages, taiseux et peu démonstratifs comme le sont tous ceux qui partent risquer leur vie sur une grande bleue quelconque. Chapeau messieurs ! * pesce-spada : espadon en italien